Vendredi 15 janvier 2010 - Article 1456
SAINT-JEAN-D’ANGÉLY – VU DANS LA RUE
Un homme en colère
Claude Paquis, artisan en colère contre le système bancaire a déversé du fumier devant la BNP de Saint-Jean-d'Angély. Un geste symbolique pour dénoncer « les errements d’un système ».
Vendredi 15 janvier, 13 heures, à Saint-Jean-d’Angély. Un véhicule attelé d’une remorque monte sur le trottoir de l’agence d’assurances Aviva située place de l’hôtel de ville, continue de rouler jusqu’à la blanchisserie où il s’arrête en stationnement, moteur à l’arrêt. L’arrière de la remorque se trouve alors devant l’entrée de l’agence BNP Paribas, au n°18 de la place de l’hôtel de ville.
Le conducteur descend du véhicule, prend une télécommande en main et dit : « Allez !... La Livraison !... ». La remorque commence à se lever, la porte arrière s’ouvrant au fur et à mesure de la montée. La remorque est inclinée à 45 degrés. Un tas de fumier en sort et se répand sur le trottoir… Une tonne de fumier bien mouillé et bien gras. Le conducteur vient vérifier le dépôt ainsi réalisé, remonte dans son véhicule pour avancer un peu afin que tout se vide bien sur le sol.
Le conducteur, c’est Claude Paquis, artisan en rénovation du bâtiment à Saint-Julien-de-l'Escap. Un homme en colère « contre le système bancaire. »
J’ai demandé le motif l’ayant amené à répandre du fumier devant une agence bancaire, ce qui n’est pas commun et relève plus du domaine des manifestations d'agriculteurs. Il raconte ainsi son histoire, que je vous livre d’une seule traite (puisqu’il est question de banque) :
« Je vous résume tout ce que j’ai publié sur mon blog(1), où vous pourrez d’ailleurs trouver tous les renseignements sur cette affaire… C’est un combat que je mène depuis deux ans. En janvier 2007 un gros chantier m'a mis dans l'embarras en raison de factures impayées par le client. Je me suis retrouvé avec un découvert de 27 000 euros à la Banque Populaire, alors que je devais débuter un marché signé pour 176 000 euros. Mon banquier m'a demandé une caution personnelle. J'ai mis en vente ma maison, fourni un ordre irrévocable de paiement notarié à hauteur de 30 000 euros, et signé en avril neuf mensualités de 3 000 euros pour rembourser le découvert.
Le 4 octobre 2007, j'ai été hospitalisé suite à une alerte cardiaque. Je ne devais plus que 17 000 euros. La Banque Populaire a baissé les remboursements à mille euros par mois.
Hospitalisé à nouveau le 11 janvier 2008, la banque n’a pas attendu que je puisse déposer le chèque d’un client que j’avais en mains le matin pour payer mes fournisseurs et a rejeté des paiements l’après-midi, me mettant en interdiction bancaire. Je me suis déclaré en redressement judiciaire le 17 janvier 2008 pour le solde du passif bancaire, soit 11 000 euros et le tribunal de commerce de Saintes m’a accordé une période d’observation de six mois. Ensuite, j’ai contesté le passif de 14 500 euros produit par la banque qui avait rajouté ses frais, une bricole !
En février 2008, la banque Delubac a proposé de m’ouvrir un compte professionnel RJ (redressement judiciaire). J’ai accepté. En septembre 2008, j'ai averti la Banque Populaire que j’allais déposer plainte concernant la gestion du compte de ma société, des virements ayant été effectués sans ma signature. Le service contentieux de Limoges m’a reçu, proposant d’annuler ma dette de 14 500 euros. J’ai accepté dans le délai de 24 heures. Par contre, je devais quitter l’établissement et clore mes comptes professionnels et personnels… J'ai reçu un chèque de près de 11 000 euros à l'ordre du mandataire judiciaire pour permettre le recouvrement de la dette aux AGS (pour les salaires des employés), remboursable sur la durée du plan, sans le moindre intérêt.
Parallèlement à ces problèmes, comme j’étais fiché à la Banque de France, le service contentieux de la Banque Populaire de Nantes, où j’avais mon emprunt pour ma maison, a décidé de mettre ma maison aux enchères.
Et pour finir le tableau, comme je n’avais pu payer mes impôts personnels avec tout ce qui partait en prélèvements, j’ai dû signer un avis à tiers détenteur pour des saisies sur des remboursements de TVA dont bénéficiait la société. Ceci pour éviter la saisie des salaires de mon épouse.
Enfin, pour obtenir l'homologation du plan, je devais régler la créance aux AGS, mais également des frais de justice de 2 000 euros, ainsi que les droits fixes d’honoraires du mandataire judiciaire, soit 2 990 euros.
J’ajoute, qu’ayant provisionné 11 000 euros, j’ai pu poursuivre le plan d'homologation, validé le 17 septembre 2009 par le Tribunal de commerce de Saintes.
Mais le 10 octobre, j’ai eu la surprise d’apprendre que les AGS n’avaient reçu que 8 000 euros et que je devais encore 2 687 euros. Explication : la somme manquante correspondait pour partie aux frais fixes du mandataire, les honoraires s'élevant à un montant total de 6 048 euros.
Là encore, il est amusant de constater que le mandataire, qui doit assurer les règlements de manière complète les AGS, se sert sur cette somme afin de prendre ses honoraires...en le faisant suivre par la présentation de la facture
Enfin, j’ai voulu ouvrir un compte à la BNP. C’était en octobre 2009. La banque m’a informé qu’elle ne me prendrait pas car je sortais de redressement judiciaire. Je suis révolté au plus haut point car je constate que l'État réinjecte des milliards dans le système bancaire et que certaines agences locales ne soutiennent pas pour autant les entreprises clientes. »
Voici donc une longue histoire difficile à couper en morceaux pour que le lecteur la digère mieux…
Mais, comme l’a précisé Claude Paquis en fin d’entretien : « On parle beaucoup des suicides à France Telecom mais on parle peu des suicides des artisans. Vous savez, j’y ai pensé, mais j’ai une femme et une fille. Et heureusement j’ai du caractère. Aujourd’hui, c’était un geste symbolique pour attirer l’attention sur des problèmes dont nous subissons les conséquences… Si on veut relancer l’économie, il faut revoir certaines données. »
Les services de gendarmerie sont intervenus. Claude Paquis a été entendu dans une déposition qu’il a faite à la brigade, dont il ressortira trente minutes après. Le sous-préfet est venu sur les lieux constater l’événement. Les services techniques municipaux sont venus enlever le fumier et nettoyer le trottoir.
Ce soir, Claude Paquis est chez lui, du côté des Eglises-d’Argenteuil, réfléchissant sur les incertitudes de l’avenir et la condition de l’homme dans une vie professionnelle qui comporte toujours des risques. Les risques du métier.
(1) http://jebalance.over-blog.com
http://presseagenceaquitaine.blogs.sudouest.com/archive/2010/01/18/la-rochelle-le-fumier-de-la-colere.html