Tous mes remerciements à Serge Hirel pour la rédaction cet article. Vous aussi, publiez sur ce blog.
Avis aux lecteurs : les photos concernant l'expédition polaire seront insérées ultérieurement
Hormis la pesanteur - une difficulté supplémentaire plus qu’un avantage -, la mission polaire "Tara", qui vient de s’achever après 507 jours de dérive sur la banquise arctique, tenait en tous points du vol spatial de longue durée : même confinement, même isolement, même hostilité de la nature… Cette aventure, un habitant de Saintes, le Dr Denys Bourget, l’a vécue.
Ancien médecin de marine et proche d’Etienne Bourgeois, le directeur de l’expédition, Denys Bourget a vécu, de juillet 2006 à avril 2007, la longue remontée de la goélette vers le Nord - un voyage de 5 000 kilomètres -, le mouillage à Oslo, à proximité du musée du "Fram", le seul navire qui, en 1893, a entrepris une même expédition, le départ de Tixie, dernière escale russe avant la banquise, et les premières péripéties d’une odyssée qui n’en a pas manquées…
Denys Bourget raconte : « Trois jours après le départ du brise-glaces qui nous avait aidé à installer notre matériel sur une plaque de glace de trois kilomètres carrés, celle-ci s’est brisée brutalement en quelques dizaines de morceaux… Nous avons eu beaucoup de chance de tout récupérer… Il a fallu remonter à bord des tonnes d’instruments éparpillés dans un rayon de trois kilomètres ! J’étais parti comme médecin… J’ai surtout joué les manœuvres ! ».
Illustrant son propos de dizaines de photos, Denys Bourget, pendant près de deux heures, a ainsi raconté sa vie à bord, le gîte de 8° sur bâbord qui empêche un verre de tenir sur une table, les contraintes imposées par le froid, les peurs provoquées par la compression des plaques de glace contre les parois en aluminium du bateau, les repas sans grande fantaisie culinaire : « Sept gigots pour deux ans de voyage, un poulet pour huit par semaine… Riz, puis couscous, puis pizza, puis riz, puis pizza, puis couscous, puis…, s’amuse-t-il aujourd’hui, la douchette une fois par semaine, la crainte du "pépin" de santé - Il aurait fallu attendre les secours jusqu’à une dizaine de jours…-, les corvées extérieures pour déneiger le pont et les abords de "Tara", pour découper à la tronçonneuse la glace nécessaire à l’approvisionnement en eau, la perte de la notion de l’heure dans la nuit polaire,… »
De cette mission hors normes, Denys Bourget a ramené également d’autres souvenirs, inoubliables eux aussi, mais beaucoup plus agréables : la balade d’une ourse blanche et de ses oursons à proximité du bateau (« un spectacle fabuleux »), les deux chiens de l’expédition pelotonnés dans la neige, les petites fêtes à bord pour célébrer un anniversaire ou le passage d’un degré de longitude, la construction par l’un des équipiers russe d’un banya (un sauna où la vapeur d’eau peut atteindre 90 degrés), le ciel constellée de milliers d’étoiles, les aurores boréales, les phénomènes de réfraction qui offrent la vue de trois soleils et… la douce luminosité qui, début mars, de plus en plus intense et rougeoyante, annonce le retour du soleil.
Pour Denys Bourget, c’était aussi les prémices de la fin du voyage. Restait à construire, à la pelle et au pic, une piste d’atterrissage d’un kilomètre de long, sur une banquise aux formes toujours tourmentées par le vent. « Avec le pilote du DC3, nous avons négocié pour la réduire à 700 mètres… », se souvient-il, concluant son diaporama par quelques photos prises, le 23 février dernier, au large de Lorient où "Tara" a achevé son périple, accueilli par plus de 5 000 personnes.
Avant de répondre aux questions de son auditoire, Denys Bourget a enfin évoqué les multiples mesures et expérimentations réalisées au cours de la mission. Des mesures sur la direction et la force des vents, l’épaisseur et la cristallisation de la glace, la température et la salinité de l’eau,… qui sont aujourd’hui étudiées par les chercheurs des 48 laboratoires d’Europe, du Japon, de Russie, du Canada et des Etats-Unis réunis autour du programme européen Damoclès, partenaire scientifique de "Tara".
Cette mutation profonde de l’Océan Arctique, selon les scientifiques, provoquera une modification des courants, un moindre brassage des océans, une remontée plus lente des courants chauds vers le Nord...
« Le Gulf Stream pourrait s’éloigner de nos côtes », a prévenu Denys Bourget, avant d’évoquer aussi la probable diminution de la superficie des glaces continentales du Groënland… « A terme, d’ici cinquante ans, ce dernier phénomène pourrait déclencher une élévation d’un mètre de la surface des eaux… ».
Interrogé bien sûr sur les causes de cette évolution inquiétante, l’orateur s’est refusé à les préciser. « Nous étions là pour observer, pour constater, a-t-il dit. Dire que l’activité humaine est la seule responsable de ce réchauffement, ce n’est pas scientifique, c’est aller un peu vite en besogne… ».
Dans l’avenir, d’autres expériences pourront probablement répondre à cette question, qui, désormais, est à la « une » de l’actualité. "Tara", qui a fait la preuve de sa résistance et de sa maniabilité, pourrait y participer. En tout cas, c’est le vœu de tous ceux qui ont participé à ce premier voyage.
Et nul doute que, si Etienne Bourgeois le sollicite à nouveau, Denys Bourget sera prêt à retenter l’aventure…